« Quel âge as-tu, Nounou ? » Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

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assmat et maman
Force est de constater que mes parents-employeurs rajeunissent tous les ans ! Si, si, je vous assure, chaque année, lors des premiers contacts, des premiers entretiens, je me fais la même réflexion : ces jeunes parents sont de plus en plus jeunes. On serait tenté de penser que c’est tout simplement moi qui vieillis, mais non, croyez-moi : j’ai toujours le même âge, ce sont eux qui rajeunissent !

Aujourd’hui, mes employeurs ont l’âge de mes propres enfants, les tout-petits que j’accueille celui de mes petits-enfants. Je me pose cette question : le regard que nous portons sur notre métier est-il différent selon les générations ? Mes jeunes collègues, peut-être elles-mêmes jeunes mamans ou en âge de l’être, appréhendent-elles différemment notre profession ? La toute petite enfance qui est au cœur de nos préoccupations souffre-t-elle de différentes interprétations suivant l’âge des personnes qui s’occupent des bébés ? La relation salariée-employeurs est-elle différente lorsque nos employeurs sont bien plus jeunes que nous ? Suis-je moi-même différente que lorsque j’ai commencé à travailler ? Sans nul doute !

Les années qui passent apportent de l’expérience, un certain recul, si ce n’est une certaine forme de confiance en soi, en ses compétences, mais aussi parfois du découragement et de la lassitude.
À revivre sans cesse les mêmes situations, différentes et pourtant semblables, comment garder la flamme, la générosité, la bienveillance ? À entendre les mêmes questions, à prodiguer les mêmes réponses, et cela au fil des années, comment continuer à garder la curiosité intellectuelle, la vivacité d’esprit, la part de spontanéité indispensable à toute relation vraie ? Heureusement, il y a les bébés, toujours différents, toujours porteurs de joie et de bonheur.
Chaque nouvel accueil est un renouvellement, un départ à zéro pour cet enfant-là. Aucune monotonie, aucune lassitude. Ce bébé-là est forcément différent des dizaines d’autres que l’on a pu accueillir, il apporte avec lui un vent de changement et de fraîcheur !

Notre profession a cela de commun avec les professions libérales : il n’existe pas vraiment d’âge limite pour l’exercer. Tant que les forces physiques sont là, tant que la santé est bonne, tant que la volonté de continuer à travailler reste chevillée au corps, tant que cet élan qui nous porte vers la toute petite enfance est toujours vivace, le renouvellement d’agrément peut nous être accordé sans limite d’âge. Certaines d’entre nous, épuisées, percluses de douleurs, nerveusement à bout, attendent la retraite en comptant les années, les mois. D’autres au contraire, en repoussent toujours un peu plus la date. Pourquoi ? *

Pour beaucoup, travailler, c’est rester dans la vie, c’est participer à un dessein commun, c’est se lever le matin avec un projet. Bien au-delà de l’âge de la retraite, les auteurs continuent à écrire, les cinéastes à tourner des films, les chanteurs à chanter. Les assistantes maternelles aussi parfois, à accueillir des enfants. Les pleurs des bébés sont certes éprouvants, mais leurs rires, leurs petites mains qui se tendent vers nous, leur confiance naturelle, leurs « ma nounou » qui nous font fondre nous manqueraient trop ! Les petits pas qui courent dans la maison, les petits lits douillets, les jouets qui traînent partout : notre maison serait sans doute bien mieux rangée, bien plus propre sans tout ça, mais aussi bien plus triste et vide. Être assistante maternelle, c’est ouvrir sa maison et son cœur aux enfants et à leurs parents. C’est savoir donner de sa personne, trop parfois. Mais ne nous leurrons pas : si certaines d’entre nous continuent à travailler, c’est aussi parce qu’elles ne pourront malheureusement pas vivre de leur petite retraite.

L’accueil individuel est en grande majorité féminin. Et nombreuses sont les femmes à être précarisées dans leur vieillesse, toutes professions confondues. Carrières interrompues pour s’occuper des enfants, temps partiels, chômage… Les assistantes maternelles ne font pas exception. Nos revenus fluctuants, nos périodes de chômage partiel, les restrictions à l’agrément qui compliquent la recherche de nouveaux contrats : tout cela a un impact sur nos retraites. Notre profession est vieillissante : de nombreuses assistantes maternelles partiront à la retraite ces prochaines années. Cela inquiète (un peu) les pouvoirs publics qui chercheraient, dit-on, à rendre notre profession plus attractive… Nous aurions bien quelques pistes à leur fournir !
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 02 octobre 2019
Mis à jour le 03 octobre 2019